Journée professionnelle 2021

Des effets au-delà de la crise sanitaire

Les difficultés de la clientèle

Introduction

Une journée professionnelle sous le signe de l’actualité

La situation de pandémie que nous vivons a bousculé tout le paysage de l’humanité. Peu de secteurs ont été épargnés, que ce soit au niveau social, politique, culturel ou économique.

Certains domaines ont connu une baisse drastique de leur activité, pour ne pas dire un arrêt total ; d’autres, vraisemblablement moins nombreux, ont vu leur activité surmultipliée.

Dans cette cacophonie qui a suivi les premières mesures, les consultations des sophrologues ont été les témoins de ces 2 tendances, de façon inégale selon les contextes.

Les conditions particulières de cette pandémie nous ont conduits, pour nous adapter, à être créatifs.

La sophrologie a pris sa place dans cette créativité et révèle déjà des évolutions de pratiques, voire des changements durables.

Le ferment de ces changements était-il déjà présent ou non auparavant ?…

Dans ces souffrances rapportées par notre clientèle, qu’est-ce qui relève de la crise sanitaire ?

Quelle posture avons-nous prise, dans la mesure où nous étions également impliqués dans la situation qui se déroulait ? De ce fait, nous pouvions manquer de recul sur certaines problématiques évoquées par notre clientèle.

C’est une situation inédite où le (la) sophrologue vit potentiellement les mêmes souffrances que ses client(e)s.

La responsabilité du ou de la sophrologue est d’accorder une attention toute particulière à son (sa) client(e) qui exprime des souffrances conjoncturelles.

Comment adapter sa pratique en proposant certaines techniques spécifiques ?…

Synthèse de la table-ronde

Animateur
Jean-Pascal Cabrera
Rapporteures
Corinne Goffaux-Dogniez
Céline Mestre

Document

Identification de différents types de souffrances exprimées dans les consultations

On peut répartir ces souffrances en 3 groupes :

Les souffrances sociales

Ces souffrances sociales sont issues principalement de 2 sources :

La sphère familiale

Cette période a certainement amplifié, exacerbé, accéléré des difficultés existantes.

Il y a eu un accroissement des situations de crise : augmentation des violences conjugales, des conflits intrafamiliaux.

Parmi ces souffrances rapportées, on peut citer celles liées au risque élevé de décrochages scolaires, de parents en dépression, de personnes démunies dans la gestion intra-familiale.

Les sophrologues sont amenés parfois à faire « de la médiation familiale » pour aménager dans l’urgence une nouvelle sociabilité et un nouveau « vivre ensemble », voire à réorienter vers un psychologue.

La promiscuité, dans un temps contraint, engendre des difficultés à partager l’espace, le temps, l’ordinateur, le wifi ; « on ne se supporte plus » !

Elle crée une impossibilité de « s’échapper », une obligation « d’encaisser », notamment de la part des femmes.

On note également une impossibilité de décompresser, de se défouler (exemple des salles de sport fermées).

Nous évoquons ces souffrances sans avoir de chiffres. Ces propos proviennent d’une mise en commun de nos témoignages dans nos cabinets ; ces recueils de données sont subjectifs car provenant d’échantillons de population de type « petits groupes » et posant le problème de représentativité de toute la population.

En réaction à cette remarque, un chiffre est avancé (24%) émanant des services de police ; ce chiffre illustre l’accroissement des conflits conjugaux, les services d’urgence ayant fait état de leur débordement dans les médias.

La sphère professionnelle

Des projets ont avorté, par exemple pour des reconversions, des créations d’entreprise, pouvant conduire à une perte d’espoir, un manque de « visibilité » dans le travail. Dans ce contexte, quel sens donner à une S.A.P ?

Beaucoup de secteurs professionnels ont vu une explosion du télétravail. Dans cette dématérialisation, le travail n’est plus « évalué » au temps passé, mais alors à quels repères le travail se réfère-t-il ?

Certaines personnes travaillent plus à la maison qu’au bureau, voire ne s’arrêtent quasiment plus de travailler (stress, fatigue).

Des effets multidirectionnels

Le confinement a créé un mélange des différentes sphères de vie : travail, famille, sport, loisirs ; « on fait tout à la maison ». Ce mélange provoque un malaise, une perte de sens, voire de valeurs, source de dépression, de burn-out.

Il a été relevé un phénomène d’évitement ; la souffrance interne, l’anxiété des personnes et des foyers se sont accrues, également parce que les personnes évitent les hôpitaux et parfois même la consultation médicale en dehors des problématiques liées à la covid 19 (cet aspect dépend du moment de la crise).

On note également une dégradation possible d’une sphère « amicale » se traduisant par une perte de lien social, des dissensions liées à la révélation de valeurs différentes entre amis ; par exemple, le débat pro ou anti vaccin, le respect ou non des restrictions sanitaires.

Les souffrances psychologiques

La souffrance est parfois une anxiété liée à un risque élevé auquel la personne est confrontée qui peut déboucher sur des situations violentes.

On a ainsi observé des enfants qui ne veulent plus sortir par peur de (se) contaminer ; c’est le syndrome de la cabane qui peut se transformer en phobie sociale.

Là aussi, la crise a amplifié des souffrances déjà sous-jacentes, liées à la peur de la mort (sa propre mort, la mort de ses proches).

Ajoutés à la privation de liberté, on assiste à des phénomènes de colère, de révolte, de remise en cause du « système ».

La crise sanitaire et le confinement ont amené une forme de dépression nouvelle, liée à la coupure des échanges humains naturels, la coupure du contact avec l’autre.

Reflexion one line - SFS - Société de Sophrologie FrançaiseCette forme de souffrance est due à une frustration à long terme liée, au travail ou dans la sphère affective, à l’isolement. Cette situation engendre une anxiété, un stress. La dépression se manifeste après une longue période de ce « stress ».

Toutes les tranches d’âge sont touchées : enfants, adultes.

Les moins touchés seraient peut-être les adolescents qui semblent s’accommoder de cette situation qui « dérange tout le monde » sauf eux.

L’incertitude, quant à la sortie de cette situation impose une gestion contradictoire de l’énergie à déployer : ce n’est pas le moment de faire un burn-out ou une dépression.

Notre clientèle attend de nous d’être à l’écoute d’une urgence. Les personnes sont très nouées physiquement et psychologiquement.

L’urgence est liée au danger auquel chacun(e) a été confronté(e) selon la nature de la situation.

Cette manifestation peut être amplifiée par la « mentalité » du « Je veux tout, tout de suite ! ».

Une souffrance psychologique provoquée par des dispositions professionnelles d’adaptation à la crise sanitaire a été évoquée dans le groupe : une fracture sociale entre les gens qui ne peuvent pas « télétravailler » et ceux qui le peuvent. « La chance du télétravail » ne revient-elle pas encore aux catégories socioprofessionnelles favorisées ? (D’où le discours : « Décidément, c’est toujours les mêmes ! »)

Citons aussi, dans le même ordre d’idées, les parents exerçant des professions au sein d’un hôpital, et obligés d’aller travailler, craignant ainsi de contaminer leurs proches (c’est une grande crainte que l’on peut qualifier d’angoisse parce que c’est la vie qui est en jeu).

Le déconfinement complet pourrait-il amener aussi une problématique et donc une souffrance psychologique spécifique, une anxiété particulière ?

Les souffrances somatiques (physiologiques, les plaintes du corps, etc…)

Plusieurs types de désagréments physiques ont été rapportés :

  • liés à une mauvaise installation
  • pour certaines personnes un manque de pauses
  • pour d’autres personnes un manque d’activité sportive
  • des clients sujets à des facteurs de comorbidité : diabète, maladies auto immunes, etc.

Il s’ensuit des tensions musculaires, des problèmes de dos, des douleurs ; certain(e)s client(e)s ont besoin d’être soulagés, besoin de bien-être, ce qui peut parfois limiter nos pratiques, par exemple dans certaines relaxations dynamiques.

Comment accompagner ces souffrances en tant que sophrologue ?

Particularités et contenu de l’intervention sophrologique

L’objectif à très court terme est « d’éteindre le feu ». Il s’agit d’amener notre client(e) à accueillir, exprimer, nommer ses souffrances.

L’intervention sophrologique répond à l’urgence (douleurs générales ou grande souffrance psychique) pour un effet direct. Elle suscite une prise de conscience que l’on pourrait définir comme un « déconfinement sensoriel ».

Le confinement est, par définition, un « intérieur obligé » ; un accompagnement évitera qu’il ne devienne trop angoissant pour certaines personnes. L’intériorisation, un élément central de la pratique sophrologique, peut répondre à ces plaintes de grande anxiété liée au contexte.

Le but est d’amener le(la) client (e) à prendre soin de soi, de son corps, de son « mental » et à activer, renforcer ses capacités pour se préparer au lendemain.

Toute la subtilité de la démarche repose sur :

  • le travail de ses certitudes au présent (ce qu’il(elle) sait faire, ce qu’il(elle) aime faire, ce dont il(elle) dispose, malgré l’incertitude du lendemain. Il est important de proposer une vision à plus long terme, un recul, une relativisation qui permettent une reliance avec d’autres notions (santé à long terme, avenir), et qui canalisent son énergie vers un objectif « devant lui (elle) », à la manière d’une balise qui éclaire l’horizon (le phare dans la tempête).
  • une réflexion en termes d’opportunités plutôt qu’en termes de risques encourus.
  • la (re)construction de ses forces, de sa confiance, de son énergie, de son pouvoir d’action.
  • une réflexion, portant sur ses valeurs existentielles en l’amenant à « être », en s’appuyant sur les révélations du « terrain » adossée à la proposition préalable d’une temporalité différente :
  • arriver à gérer l’urgence, « calmer le feu », « vivre en paix», soulager avant de proposer une réflexion existentielle qui pourrait être douloureuse ou une projection positive difficilement compatible avec un contexte incertain.
  • « travailler » sur ses besoins (ce qui n’est pas simple car cela peut faire peur d’en prendre conscience) avant de réfléchir sur ses valeurs existentielles.
  • une différenciation « agréable/désagréable » par rapport à « pertinent/non pertinent » plutôt que « positif/négatif »: un vécu désagréable peut s’avérer positif car utile à un moment donné.

Le contenu de la consultation (distancielle ou présentielle) est simple et rassurant : c’est une « sophrologie de base » (sophronisation simple, techniques de base) qui s’appuie sur une expression phénoménologique à partir des phénodescriptions. « Raconter le phénomène » dans sa pluridimensionnalité et sa pluri-sensorialité stimule la résilience.

Pour certains (es) sophrologues, il se produit une explosion d’une demande en distanciel.

Cela nous permet d’observer une dichotomisation dans la demande de notre clientèle :

  • une partie des demandes exprime un souhait de prise en charge en présentiel.
  • une partie des demandes exprime un souhait de prise en charge en

La « présence corporelle » est un fondement de la sophrologie avec l’interaction relationnelle.

L’émotionnel et le pluri-sensoriel semblent plus accessibles dans le mode présentiel. Mais le fil des débats évoque alors la question de nos inductions verbales au sein même de « l’expérience numérique ».

L’établissement de l’alliance sophronique en distanciel est intéressant aussi. Que faut-il en penser ?…

Nous essayons de nous adapter, et bon nombre d’entre nous, soucieux(euses) de se montrer phénoménologiquement ouverts, ont vu leur avis évoluer depuis le début de cette crise sanitaire.

On peut raisonnablement imaginer que le « filtre » de l’écran qui s’interpose dans une consultation en distanciel ampute l’alliance sophronique de beaucoup d’éléments corporels inconscients. Or, une partie de notre clientèle « revendique » cette « entière » alliance sophronique.

Le développement des consultations en distanciel s’appuie sur l’essor des plateformes numériques dont l’usage est devenu accessible et banal pour une grande partie de la population.

Ce point constitue un fait innovant : il  permet aux sophrologues de découvrir de nouvelles possibilités d’accompagner des personnes en souffrance, à distance, et leur permet d’apprécier l’efficacité de ces « nouvelles modalités » qui répondent à l’urgence de la demande.

Les agendas respectifs s’organisent (pour la clientèle, fini les transports, les frais, le temps « perdu », les enfants à faire garder). C’est une manière assez différente de travailler.

Conclusion

Chacun des groupes de réflexion a pu exprimer et partager des expériences vécues. Ce vécu vient enrichir le regard et l’analyse que nous portons sur notre profession au plus près de l’actualité. Il semble que l’intérêt suscité par cette table ronde ait fédéré d’autres demandes de tables rondes professionnelles. Un sondage a été proposé pour en cerner les modalités qui rassembleraient le plus de sophrologues. C’est ensemble que nous progresserons le mieux.